Entre les fantasmes et leur réalisation se trouve un gouffre dont j’espère ne pas sous-estimer l’ampleur. Cette profondeur me parait insondable, et pourtant il doit arriver un jour où il faut prendre le risque de plonger sans savoir si on sortira indemne. On ne sait d’ailleurs pas non plus si le refus de plonger nous laissera aussi indemne.
Le fantasme candauliste qui m’habitait silencieusement depuis quelques mois était en train de me noyer dans la frustration. Sa révélation à ma femme aurait pu ébranler une relation bâtie sur de longues années d’amour, de confiance et de confidences. Du reste c’est la peur de la décevoir et de la perdre qui me retenait de tout dire.
Jamais je n’aurais pensé que les fantasmes puissent rattraper la réalité, qu’ils puissent la mettre à mal, la rendre presque insoutenable. Longtemps j’ai été insouciant. A leur apparition, mes pensées candaulistes n’étaient là que pour nourrir ma libido. Je n’avais pas besoin de les dire à ma femme car elles restaient du domaine du fantasme léger et innocent. Mes pensées candaulistes n’étaient rien de plus que le levier de mon excitation. Mais il arrive forcément un jour où les pensées, aussi excitantes soient-elles, deviennent lourdes, pesantes, insupportables.
Silencieuses, sinueuses, insidieuses, mes pensées candaulistes sont devenues peu à peu l’unique levier pour soulever mon désir. Sans elles, je n’arrivais plus à faire l’amour à ma femme. Et puis j’ai commencé à m’enfermer dans le fantasme jusqu’au jour où je ne pouvais plus agir, où je ne pouvais plus faire l’amour à ma femme. J’avais trop envie de la voir avec quelqu’un d’autre. Dès le lever, la journée au travail, le soir à table, la nuit dans le lit, j’étais obsédé par l’idée d’inviter un homme qui ferait l’amour à ma femme devant moi.
Je me trouvais dans une impasse. Mon fantasme avait tellement grandi qu’il était devenu part entière de ma personne. Aujourd’hui je sais que le fantasme ne peut pas se substituer à la réalité, et encore moi à sa propre personne. Il me fallait donc sortir de ce cercle infernal qui se refermait dangereusement sur moi, qui me serrait à la gorge et finirait par m’étouffer. Il fallait que je respire, que je dise à ma femme ce qui me tourmentait, ce qui était en train de me dévaster et notre relation avec. Je l’ai fait. Mais dire mon fantasme a été la chose la plus difficile de ma vie.
Nous n’avions plus fait l’amour depuis plusieurs mois, ce qui était plutôt inhabituel pour nous. Ma femme se doutait que quelque chose ne tournait pas rond. Elle pensait que cela venait d’elle, que cette absence de petites attentions, de caresses, d’envie de faire l’amour, était liée à son corps vieillissant. Pour elle, cela était lié au fait qu’elle venait d’entrer dans la ménopause. Elle pleurait souvent le soir. Et moi j’étais incapable de prendre sur moi la culpabilité qui n’était que mienne. Elle n’y pouvait rien et se jetait pourtant la pierre. Un soir où elle ne pouvait s’arrêter de pleurer, j’ai lâché le morceau.
« Ce n’est pas toi. Il faut que je te dise quelque chose. Depuis plusieurs mois maintenant je suis hanté par un fantasme idiot. Je pensais pouvoir m’en défaire mais ce fantôme n’a cessé de grandir jusqu’à prendre toute la place. Tu es belle, séduisante, tu es une femme attrayante, rayonnante et j’aimerais te voir faire l’amour avec un autre. »
C’était dit. J’étais pris entre le soulagement, la honte et la peur d’avoir brisé quelque chose entre nous. Ma femme n’a rien dit pendant plusieurs minutes. Elle était sous le choc. Elle avait tout imaginé, même une amante, mais une révélation comme celle-là, elle ne pouvait pas si attendre. C’était impensable. Jamais elle n’avait pensé à me tromper. J’ai dû lui dire que je ne voyais pas cela comme de la tromperie. Pour moi, c’est un honneur que d’autres hommes puissent trouver ma femme séduisante au point de la désirer. Le désir qu’on lui porte me remplit d’une fierté intense difficilement descriptible.
Il lui a fallu deux jours pour digérer et elle m’a dit : « et toi, tu veux aussi faire l’amour à d’autres ? Est-ce que tu m’aimes toujours ? Est-ce que tu me désires toujours ? »
J’ai pris ses mains, je l’ai regardé droit dans les yeux et je lui ai dit : « aucune autre que toi ne compte à mes yeux. Tu es la seule femme que j’aime et que je désire. Seulement… ce fantasme, je peine de plus en plus à le contrôler. Peut-être que de le réaliser m’en libèrera. Mais je n’ai aucune certitude là-dessus et jamais je ne te forcerais la main. Si tu ne veux pas, j’apprendrai à vivre avec. »
Il y a eu un blanc pesant. Puis nous avons changé de sujet. Le soir, alors que nous étions dans le lit, elle m’a dit : « je vais le faire pour toi ». Des larmes de bonheur m’ont submergé. Je l’ai prise dans mes bras et je lui ai dit merci.
Nous n’avons toujours pas mis en pratique mon fantasme, nous cherchons le bon moment, la bonne personne. Nous voulons que cette expérience nous comble tous les deux. J’espère quoi qu’il en soit que nous ne tomberons pas dans le gouffre du fantasme… Ou que nous saurons tous les deux en sortir indemnes…
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